Pourquoi l’État moderne déteste la religion ?

Les hommes et femmes ont depuis la nuit du temps contemplé et vécu le monde à travers des mythes et des croyances religieuses. Celles-ci leur étaient aussi indispensables que l’air qu’ils respiraient ou le pain qu’ils mangeaient pour s’orienter dans la vie. L’époque moderne qui est caractérisée par l’apparente prédominance des sciences n’a rien changé sur le fond à cette réalité. Elle tente en vain de supplanter les idées et sentiments religieux par la science ou encore par des idéologies modernes dont le but réel est la manipulation politique des masses.

Mon but n’est pas de présenter ici un cours sur la religion. Je laisse cette tâche aux philosophes officiels et autres spécialistes au service du pouvoir, comme c’est généralement le cas aujourd’hui partout dans les pays industrialisés. Dans l’intérêt du pouvoir séculier, ils peuvent continuer à vilipender la religion autant et aussi longtemps qu’ils veulent, car ils sont payés pour cela. Pour ma part, j’aimerais montrer que l’on ne peut simplement pas vivre en homme ou femme libre sans la religion, même si l’on est convaincu du contraire. Plus la vie est dure, plus l’on a besoin de la religion. Comme d’habitude, j’illustrerai mes réflexions par des exemples concrets tirés de ma propre expérience de vie, dans le but de susciter une réflexion sur ce sujet qui est d’une importance existentielle fondamentale.

En 1978, alors que j’étais très jeune, mon pays d’origine, l’Afghanistan, a connu un coup d’État communiste. Fidèles à leurs convictions anti-religieuses et anti-islamiques en particulier, les communistes ont presque immédiatement organisé une persécution à grande échelle à l’encontre du clergé musulman dans le but de briser l’établissement religieux et d’affaiblir ainsi la société traditionnelle pour ouvrir la voie à la transformation communiste de la société. Cela s’est traduit par l’assassinat de dizaines, probablement de centaines de milliers d’ecclésiastiques, dont le seul tort était de prêcher la religion ou de défendre le mode de vie traditionnel conformément aux coutumes et croyances ancestrales du pays.

Le régime communiste a provoqué une guerre civile qui a durée plus de 40 ans et fait de millions de victimes. Contrairement à ce que certains ont prétendu, la guerre civile afghane, qui a été le résultat d’une combinaison de plusieurs facteurs nationaux et internationaux, n’a pas été provoquée ou alimentée par la religion musulmane. La cause primaire en était le régime communiste répressif lui-même. A cela s’ajoutait la réaction des populations afghanes, en particulier des Pachtounes, dont la structure tribale leur permet de se mobiliser en temps record pour contrer une menace existentielle. Les tribus fonctionnent en réalité comme des mini-États et sont porteuses de traditions et coutumes ancestrales très combatives. Il y avait encore un troisième facteur d’une importance capitale, qui consistait dans les interventions militaires étrangères. Sans ces interventions étrangères, qui sont un phénomène moderne, la guerre civile aurait probablement duré quatre ans au maximum au lieu de quarante ans.

Cette guerre n’a pas été conduite dans le respect des règles de la religion musulmane, qui est pratiquée par la très grande majorité des Afghans. Comme le Christianisme ou le Judaïsme, l’Islam est une religion de paix, qui non seulement interdit toute violence à l’encontre des populations civiles, notamment des femmes et des enfants ou des prisonniers de guerre, mais ordonne expressément leur protection. La guerre n’est autorisée que dans un contexte très limité, notamment lorsqu’il s’agit de se défendre contre une agression armée. La guerre civile en Afghanistan était une sale guerre pour le pouvoir, comme toutes les guerres civiles modernes, dans laquelle les règles morales et humanitaires étaient quotidiennement violées. La faute en incombait à la fois aux acteurs politiques internes de l’Afghanistan et aux gouvernements étrangers, notamment l’URSS, les États-Unis, le Pakistan, etc., qui y étaient directement ou indirectement impliqués.

La religion musulmane a toutefois joué un rôle positif fondamental durant cette terrible guerre. L’Afghanistan est un pays composé de nombreuses ethnies et compte plus d’une trentaine de langues et dialectes. Les gouvernements laïcs afghans, les Soviétiques puis les Américains au cours de leurs occupations militaires respectives ont tenté de diviser le pays le long de lignes ethniques et linguistiques. Cela a fonctionné dans une certaine mesure, mais pas pour longtemps. Le pouvoir unificateur de la religion a été beaucoup plus grand que le pouvoir divisif des gouvernements et de leurs idéologies modernes. L’Afghanistan n’a finalement pas subi le même sort que la Yougoslavie, où des groupes ethniques se sont mutuellement massacrés et le pays s’est désintégré.

La religion musulmane a été un rempart contre les idéologies communistes, nationalistes et contre toutes les autres formes d’idéologies modernes ou post-modernes. Comme elle fournit aux individus une alternative solide pour appréhender la réalité sociale ou politique et exercer ainsi leur libre arbitre, le gouvernement communiste ou les gouvernements postérieurs proaméricains n’ont jamais réussi d’endoctriner les masses populaires. Or, si l’on considère à titre de comparaison n’importe quel pays occidental, le gouvernement ne rencontrera pratiquement aucune difficulté insurmontable pour endoctriner et conduire les populations comme il le souhaite, étant donné que la religion est muselée, que les médias de masse traditionnels et la très grande majorité des intellectuels sont avec le gouvernement et que les idéologies modernes dominantes font tout pour désorienter l’individu au lieu de lui fournir des critères moraux solides pour des choix personnels responsables. Il n’y a en réalité aucun contre-pouvoir sérieux au pouvoir établi, ce qui signifie qu’il existe un potentiel important pour le totalitarisme, notamment pour sa forme extrême qui est le fascisme.

Bien entendu, les laïcs peuvent être aussi honnêtes que les croyants. Inversement, les croyants peuvent être aussi mauvais que les laïcs. Ce qui fait la différence, cependant, c’est le fait que la foi religieuse authentique rend plus forts et plus résilients les individus ou les sociétés humaines qui la portent, alors que l’absence de telle foi les rend inévitablement plus vulnérables. N’est pas libre ni vertueux celle ou celui qui est faible de volonté. Dans les sociétés modernes d’aujourd’hui, la laïcité entraîne une faiblesse de la volonté et donc une réduction de la capacité de l’individu à exercer son libre arbitre.

Par ailleurs, les sources de la morale religieuse et de la morale laïque ne sont pas les mêmes. La religion tire sa morale d’une réalité objective universelle et éternelle, qui se situe au-delà de l’existence subjective limitée des individus. Sa morale unifie les individus et l’ensemble de l’humanité, notamment en les libérant des passions destructrices. La moralité laïque tire son contenu de l’expérience personnelle subjective qui est éphémère, limitée, divisive et empreinte d’ignorance et de faiblesse intrinsèque de la volonté individuelle. Créée ou soutenue par les idéologies modernes, elle promeut les passions comme valeurs suprêmes de l’humanité.

Si l’on adopte le point de vue subjectif de la moralité, l’on doit alors se poser la question suivante : Pourquoi dois-je agir contre mes intérêts ou prendre des risques pour venir en aide à celles et ceux qui en ont besoin ? Autrement dit, pourquoi dois-je être solidaire avec les personnes que je ne connais même pas ou pourquoi les peuples du monde doivent être solidaires entre eux ? Pourquoi ne pourrais-je pas faire ce que je veux, même commettre un génocide comme le font Israël et ses alliés occidentaux à Gaza, si mes intérêts l’exigent et si je suis assez fort pour ne pas craindre des conséquences fâcheuses ?

Nous observons en direct que l’armée israélienne massacre par dizaines de milliers des enfants, des femmes et des personnes civiles, sous prétexte de vouloir éliminer des combattants palestiniens. Les militaires israéliens exécutent ainsi les ordres qu’ils reçoivent du régime sioniste avec autant de fidélité qu’Adolf Eichmann exécutait les ordres de ses chefs nazis en mettant en place la « solution finale. » Ces soldats ont confié, volontairement, par ignorance ou par peur de représailles ou pour toute autre raison, leur libre arbitre et leur responsabilité morale personnelle à leur gouvernement dont la nature criminelle est à présent évidente pour le monde entier. Pourtant, s’ils étaient des croyants authentiques, ils auraient refusé de commettre ces crimes, car ils auraient fait appel à leur libre arbitre et agi conformément aux commandements de la Torah qui interdit le meurtre ou le vol des biens d’autrui. Par ailleurs, l’opposition la plus farouche aux crimes, voire à l’existence, de l’État sioniste vient de la part des rabbins fidèles à leur foi.

Pourquoi la morale laïque est frappée de faiblesse ? La vie est absurde comme le disait un personnage de Sartre dans l’un de ses romans. Les scientifiques ne manquent pas une occasion pour le confirmer. Or, cela a pour conséquence directe le désespoir. L’on peut alors essayer de combler le vide interne qui en résulte par une carrière, par l’argent ou par toute autre passion. Néanmoins, l’absurdité de la vie nous criera au visage à toutes les occasions d’échec qui sont légion au cours d’une vie, en nous rappelant que le but ultime de la vie est le néant. Lorsque nous vivons dans le désespoir d’une vie insensée où la mort rôde parfois au coin de la rue, nous sommes intrinsèquement faibles, nous allons nous plier devant le plus fort et nous allons servir le pouvoir comme le font les soldats israéliens ou les intellectuels en général, dont la plupart ne sont pas croyants. Observons par nous-même. Ne voyons-nous pas de conformisme et d’absence de courage partout dans le monde occidental face au génocide de Gaza. Combien d’intellectuels occidentaux l’ont condamné à haute voix et ont rappelé à l’ordre leurs propres gouvernements qui en sont clairement complices en fournissant de l’aide militaire ou financière à Israël ou en empêchant le cessez-le feu ?

Une personne croyante a, en revanche, l’espoir dans cette vie et également l’espoir d’une vie éternelle après la mort. Elle ne craint pas de vivre ou de mourir selon les commandements moraux de sa religion et c’est là que réside toute sa force de résilience et sa liberté. Cela explique le fait que les gouvernements modernes, notamment occidentaux, n’aiment pas les religions, singulièrement la religion musulmane, qui sont susceptibles de conférer à leurs fidèles une personnalité forte et indépendante, ainsi qu’une combativité face à la tyrannie sociale ou autres formes d’injustice flagrantes. Aucun pouvoir n’aime les citoyens forts capables de le rappeler à l’ordre lorsqu’il s’écarte de son mandat.

L’on peut m’objecter que la vie après la mort est une fiction. Certainement, si l’on entend par la vie éternelle la continuation à l’infini de la vie telle que nous la connaissons. Mais cela suffit-il pour être si prétentieux en croyant que nous savons tout de la vie ou de la mort ? Ne serait-il pas plus approprié à notre condition humaine si insignifiante à l’échelle d’univers d’admettre que nous ne savons rien de l’éternité, puisque tout que nous savons se rapporte à une infime partie de la finitude vouée à disparaître avec le temps. La physique quantique semble parfois regarder dans la direction d’une réalité ultime qui ne serait pas physique ou matérielle, ni soumise aux lois du temps et de l’espace, et donc, pour cette même raison, inaccessible pour l’expérience scientifique. Admettons au moins, avec Blaise Pascal, que la foi peut nous indiquer une voie valable, qui échapperait à la science et/ou à la philosophie laïque.